... et, chose rare, montre un grand nombre de ceux qu'il a primés, au travers d'extraits de 3 à 7 minutes environ. Et il ne chôme pas, puisque la section "dance" comprend 241 primés, et plus d'une centaine d'extraits ! Bien sûr, nous sommes ici sur les terres de la modern dance, pour le meilleur et surtout pour le pire.
Je suis toujours étonné de l'abîme qui sépare les danses contemporaines anglo-saxonne et européenne. Il me surprend d'autant qu'au contraire il est insensible en matière d'arts plastiques. La modern dance m'a toujours fait de la peine. Ce n'est pour moi qu'un pénible replâtrage du ballet classique. Elle en garde les caractéristiques fondamentales : le culte naïf du beau et de la performance physique, l'obsession de la narration et de l'illustration. La modern dance prend toujours un sujet qu'elle illustre par l'expression et le mime ; son discours est presque toujours simpliste et univoque, comme dans cette chorégraphie assez navrante de Kathleen Rea. La démarche est inverse dans la danse contemporaine, qui part généralement du corps. La modern dance assène un discours, la danse contemporaine expose (si j'étais fat j'écrirais "(ex)pose") des questions. La danse contemporaine rejette souvent la narration jusqu'à l'excès ; à force d'hermétisme, elle court le risque de forcer le spectateur à l'indifférence ; à moins que, étant parvenue à l'abstraction pure elle le plonge, au-delà de l'ennui, dans la transe ou dans l'hypnose. A l'inverse, il lui arrive de renouer franchement à la narration, et de s'acoquiner avec le théâtre. Ces deux genres se confondent aujourd'hui avec bonheur, comme dans la Chambre d'Isabella de Jan Lauwers ou Sonic Boom de Wim Vandekeybus (voir les reportages de l'agence Enguerand-Bernand).
La modern dance diffère de la danse classique en ce qu'elle a jeté le tutu pour revêtir les habits de tous les jours, et qu'elle a brûlé les planches de l'opéra pour assaillir le béton des villes. Elle aime se montrer en décors naturels, mais sa présence les rend aussi factices que les décors de carton pâte. Sa gestuelle adapte, à pas mesurés, les inventions de la danse contemporaine. Si elle ne renonce pas à son obsession de l'envol et de l'apesanteur (exemple comique ici, photographies de Lois Greenfield là), elle s'accommode très bien de la chute chère à la danse contemporaine.
La sélection de Bravo!Fact livre d'innombrables exemples de ces tendances : ici, là, là et là, on parle de l'Holocauste, là du 11 Septembre ; là on illustre platement les sentiments amoureux contrariés. On mime le lapin ou le cheval, mais ce sont des caricatures d'animaux ; le lapin est fragile, le cheval est nerveux et racé. On essaie d'être moderne en déployant une fantaisie gratuite (dans (T)here, les danseurs évoluent dans une piscine habillent en costume-cravate ; dans Coppellia, on danse sur les ordinateurs d'un cybercafé).