Aujourd'hui, point de liens mais un livre très abordable que je recommande d'acheter, un album essentiel pour aborder la danse d'aujourd'hui.
Isabelle Waternaux vient de publier son troisième recueil de photographies, Correspondances. Après MW, portrait de Mathilde Monnier publié en 2001, ce nouveau livre la consacre sans doute comme la meilleure photographe de danse actuelle, bien au-dessus des Lois Greenfield et autres Dieter Blum. Ses choix de prise de vue et d'éclairage ne sont pas foncièrement originaux : portraits frontaux et monumentaux, lumières pâles et blafardes qui déshabillent la réalité. Son avantage est de n'être pas photographe de danse, mais portraitiste. De là, une façon unique de saisir la danse.
Isabelle Waternaux a photographié en buste la génération montante de la danse : Julia Cima, Boris Charmatz, Julie Nioche... Boris Charmatz est transfiguré en Marc Aurèle roux. Portraits frontaux, dépouillés, insistant sur la monumentalité de la figure humaine, une des grandes obsessions contemporaines dans l'art comme dans la publicité (on pense, pêle-mêle, à United Colors de Benetton ou à la campagne de Paris pour les jeux olympiques de 2012) ; esthétique soeur des pharaons d'Abou Simbel, des troncs-têtes de l'île de Pâques, mais d'un sens bien différent : certes, comme ces dieux aux temps anciens, nous - représentants de l'espèce humaine - sommes aujourd'hui les maîtres de la Terre, avons pouvoir de vie et de mort sur elle ; mais il s'ajoute dans notre regard, posé fixement sur notre vis-à-vis, une question lancinante et cruelle, comme désespérée : "- et alors ? qu'est-ce-que cela veut dire ? et que faire maintenant ?" Du pouvoir nous avons perdu la naïveté, la jouissance tranquille. Plus de sérénité ni de sourire sur ces visages, mais une belle gravité romaine, simple et terrible.
Isabelle Waternaux accentue l'expression du doute en doublant ses portraits. Entre ces têtes jumelles, aucun rapport de géométrie mais des différences infimes, moins visibles qu'intuitives. Monumentalité toujours, mais plus d'unicité, ni de cohésion : duplicité diffuse, et multiplicité probable, de l'être humain.
Goya, Bobalicon, entre 1816 et 1823
Isabelle Waternaux ne photographie pas le corps qui vole mais le corps qui tombe ; elle ne saisit pas le mouvement du corps, mais son immobilité dans le mouvement. Elle fixe la grâce de la lourdeur, celle du satyre ou du Bobalicon. Elle attrape la grimace latente, comme pour prouver par décomposition photographique que Bacon, avec ses pinceaux, avait vu juste (portraits d'Arthur Avilès). Lorsque le corps tombe, que les jambes se croisent sous lui (MW, 2001), la catastrophe semble imminente, le spectateur se prépare à les entendre craquer.
En 2000, Isabelle Waternaux a produit une série de sept portraits dansants d'Emmanuelle Huynh, intitulée Stillness, qui fait pendant à la série qu'elle a consacrée à Mathilde Monnier.